
Coucou les Earl Grey’s,
Aujourd’hui, j’ai bien envie de me pencher sur la thématique du développement personnel. Je m’y suis mise assez récemment (depuis un an environ) et depuis quelques semaines, je vois beaucoup passer sur les réseaux sociaux une affirmation que le « bonheur » est devenu une injonction. Après quelques recherches, je me suis aperçue que cela venait d’un livre de la rentrée littéraire (paru le 23 août 2018) : Happycratie de Edgar Cabanas et Eva Illouz. Je ne l’ai pas lu et je ne compte pas le lire. Les articles que j’ai lu montre suffisamment son contenu : une dénonciation de la recherche de bonheur devenue à la mode et dont se sert les petites comme les grandes entreprises que ce soit dans le marketing ou pas.

Comme j’ai toujours tendance à me remettre en question, je n’ai pas hésité à me poser cette interrogation sur ma propre façon d’aborder et rechercher le bonheur. J’ai vu plusieurs personnes qui rejoignaient cette idée d’injonction, même les articles qui commentaient le livre comme si cette pensée était avérée et complètement admise. Tout le monde semble d’accord sur le fait. Je me suis donc demandé si j’étais un mouton de Panurge, si j’étais influencée ou si c’était autre chose, de peut-être plus profond… La mode est-elle au bonheur ou sa dénonciation ? Le bonheur est-il trop mainstream ? Je vais m’attacher un peu plus au développement personnel via la littérature et les éditeurs de livres sur le bien-être évidement, tout en cherchant à comprendre ce qui peut amener à penser que nous sommes dans une « Happycratie ».
Comment j’en suis arrivée à lire des livres de développement personnel ?
Tout d’abord, pourquoi en vient-on à lire des livres de développement personnel ? Parce que bon, c’est quand même un genre tout à fait spécial qui existe depuis longtemps mais qui a pris un essor certain depuis quelques années (voire quelques mois). Les maisons d’éditions spécialisées sont de plus en plus visibles sur les réseaux sociaux (Solar éditions, First éditions, Dunod Bien-être, Eyrolles…) et nous offrent des couvertures (et des maquettes) bien plus sympa que par le passé, il faut bien l’admettre.
Je vais prendre mon cas pour exemple. Je suis loin d’être un cas classique par contre (du moins, je l’espère) alors je ne sais pas vraiment si l’on peut généraliser. J’attends vos commentaires et expériences pour cela.
A vrai dire, je n’avais jamais été vraiment attirée par le développement personnel jusqu’à récemment. J’ai beau me remettre en question régulièrement, je n’étais jamais tombée sur un résumé qui me parle vraiment et m’amène à approfondir la question posée. Il y a un an et quelques mois, j’ai tenté un roman de développement personnel, celui d’Olivia Zeitline (Et j’ai dansé pieds nus dans ma tête, Solar éditions). Depuis, je ne jure que par ce livre qui m’a énormément touchée. Pourtant, je n’en attendais rien à première vue. Mais le sujet du livre tournant autour de l’intuition m’a parlé et me parle encore.
Depuis, j’ai découvert plusieurs autres livres qui m’ont aidé à comprendre un aspect de ma personnalité que je ne comprenais pas encore. J’ai proposé le Petit Bonheur hebdomadaire sur le blog durant l’année écoulée. J’ai distillé au quotidien (ou presque) des instants de bonheur accessibles à tous et toutes : l’odeur de la pluie, le goût du premier café/thé de la journée, le moelleux d’un plaid sur les épaules… Et j’ai découvert que ce genre de choses relevaient en grande partie du Hygge scandinave. Encore une injonction au bonheur ?! Oui et non, car beaucoup de choses dans le Hygge sont accessibles à tous les budgets. Le Lagom n’est pas étranger non plus à l’acquisition de ce bonheur. Il s’agit d’une forme de minimalisme et pour moi, c’est surtout le fait de s’affranchir d’une société de consommation qui oblige les envies, qui oblige à acheter pour être heureux.
Pourquoi le bonheur est-il à la mode ?
Je n’avancerais pas d’affirmation sur cette question là. Les philosophes, sociologues et anthropologues doivent avoir des sources sûres avec des études et tout le toutim. Ce que je veux aborder ici, c’est surtout mon ressenti.
La société va mal. Le monde va mal. Plutôt qu’une injonction au bonheur, je vois des injonctions multiples à faire de l’argent par brassées parce que le « bonheur » qu’on veut nous vendre réside dans la consommation et la possession de biens personnels. Si pour être heureux, vous avez absolument besoin de ce dernier téléphone alors que vous avez acheté le vôtre l’an dernier, alors ils se pourraient que vous finissiez par vous dire que le bonheur est une sacrée injonction et que vous ne parviendrez jamais à l’atteindre, et que c’est une totale arnaque. La société ressent un manque. Un manque de tout ce qu’elle n’a pas. La société a perdu le sens de la vie en travaillant dans le seul et unique but d’obtenir de l’argent pour consommer et posséder.
La question que je pose alors : est-ce que la vie signifie posséder ? Posséder signifie-t-il être heureux ?
Je risque sans doute de m’attirer les foudres des libéraux, néo-libéraux et pro-consommation avec ce discours mais le fait est là. On a, pour beaucoup de nationalités/sociétés, perdu le sens de la vie. Et j’ai aussi l’impression que peu s’en rendent compte (ce n’est pas plus mal car on est vraiment malheureux lorsque c’est le cas). Si vous êtes dans ce cas, sachez que je compatis à votre souffrance car je l’ai vécu avant de décider d’agir.
Mais alors : est-ce que nous sommes obligés d’accepter cette forme de bonheur consumériste ? N’existe-t-il que cette version là ? N’y en a-t-il pas une plus accessible ?
Et je me la suis posée longtemps, durant toutes mes études.
Les dérives d’un marché qui fonctionne
Malheureusement, comme pour tous les nouveaux « produits » qui marchent, les gens de pouvoir se sont emparés de cette recherche désespérée de donner un sens à une vie qui a perdu le sien, de parvenir à s’épanouir dans un filet de plus en plus serré. Rien de plus normal dans une société de consommation et c’est bien dommage. Le profit est un point d’honneur pour une partie de la population déjà riche mais jamais suffisamment et puis, il faut bien surfer sur les vagues pour intéresser les gens.
C’est là, à ce niveau de dérive et d’abus complet que se situe le livre de Edgar Cabanas et Eva Illouz.
« Une véritable industrie. « L’un des phénomènes les plus inquiétants de ce début de siècle », annonce la quatrième de couverture d’Happycratie, le nouveau livre de la sociologue israélienne, cosigné avec le docteur en psychologie Edgar Cabanas. Réquisitoire contre la psychologie positive, une discipline apparue à l’aube des années 2000 avec l’objectif d’établir une science du bonheur, il accuse celle-là d’avoir engendré une sorte de tyrannie du smiley. L’« happycratie », c’est l’injonction au bonheur, un contentement exigé par de « nouvelles stratégies coercitives, de nouvelles décisions politiques, de nouveaux styles de management, de nouvelles obsessions individuelles et hiérarchies émotionnelles », avertissent les auteurs. Etre heureux deviendrait ainsi une obligation pour chacun, mais avec un bonheur réduit à une vision formatée selon les fondamentaux de l’économie néolibérale. »
Brice Perrier, dans Marianne
09.09.2018
Article de Marianne réservé aux abonnés, je n’ai donc pas eu le loisir de le consulter en entier mais pour celleux qui le peuvent : L’injonction au bonheur, nouvelle alliée du capitalisme.
A mon sens, le simple fait de raisonner de cette façon est un frein inévitable au bonheur. Pourtant, c’est bien de ce « bonheur »-là, de ces dérives que dénoncent les auteurs qui m’ont donné matière à réflexion. Dans sa chronique, Usbek & Rica explique bien tout ce qui a pu découler de cette « Happycratie » que ce soit le développement d’emplois dans les entreprises dédiés à ce bonheur, ou bien des applications qui vous permettent un suivi au jour le jour de votre humeur. Mais est-ce bien utile ? Est-ce que ce type de management peut marcher ? Est-ce que ce type de marketing berne tant de monde que ça ? Parce que le bonheur, tant qu’on ne le veut pas, on ne le trouve pas qu’on me donne une application pour travailler sur moi-même ou pas. Et quand on le veut, on se penche surtout sur la littérature et la réflexion personnelle.
« Les effets pernicieux de la dictature du bonheur ne s’arrêtent pas là, développent les auteurs dans ce qui constitue le cœur de leur argumentaire : une société qui a fait du bonheur sa valeur cardinale façonne les individus de telle sorte qu’ils en viennent à se détourner du collectif, du soin aux autres, et de l’intérêt commun. »
Usbek & Rica
30.08.2018
Etes-vous en accord avec cette assertion ? Moi, pas tellement.
Enfin, je suis d’accord dans les faits, car c’est en partie ce qu’il se produit aujourd’hui avec ces dérives. Mais est-ce une fin en soi ? Est-ce vraiment la seule façon d’obtenir le bonheur ? Est-ce que finalement, ça ne sert à rien d’être heureux parce que ça nous rend égoïste ? Le bonheur n’est qu’une illusion, un idéal inaccessible car chaque fois que l’on croit l’atteindre, le collectif est lésé ? Le bonheur individuel est-il nécessairement incompatible avec le bonheur collectif ?
Non. Cent fois non. Pas comme ça. Pas avec des applications. Pas guidé par quelqu’un d’autre. Cet autre bonheur, celui qui est accessible à tous, doit venir de l’intérieur, oui. Avant de pouvoir rayonner à l’extérieur.
France Culture (podcast) : La tyrannie du bonheur

Une autre forme de bonheur
Vous le voyez peut-être souvent mais « être heureux », c’est un choix. Et c’est véridique. J’ai changé ma façon de penser, sans être très positive, j’ai cessé d’être négative, j’ai révisé mon alimentation ainsi que ma façon d’acheter. Je me pose plusieurs questions avant de dire : oui, j’achète. Depuis que j’ai décidé d’être heureuse, et bien c’est plus facile de jours en jours de ressentir cette plénitude et cet accord avec moi-même. C’est une manière de vivre totalement différente et très loin des injonctions sociales que l’on connaît : faire des études, réussir ses études, avoir un emploi stable, avoir un mari, un enfant, une maison, un jardin, un chien, un chat, des perroquets. Tout cela peut compter mais ne doit pas être le but de tous. Si les vôtres sont différents, et bien tant mieux ! Vous contribuez à la diversité et richesse de l’humanité ! Il faut de tout et aucun rêves n’est en dessous d’un autre. Et ce n’est pas parce que vous ne rentrez pas dans la case « normale » que vous n’avez pas le droit d’être heureux.
« Mais qu’est-ce ça veut dire ça des vrais fous, enfin, les fous ils sont fous par rapport à une norme. Mais pour eux-mêmes c’est les autres qui sont fous. Au théâtre ça existe pas les fous. »
Alexandre Astier,
Kaamelott, L.III, E.XV
Guenièvre et Euripide
Revenons à cette idée que le bonheur individuel serait incompatible avec le bonheur collectif.
Je pense que la recherche du bonheur au quotidien passe inévitablement par une première étape individualiste. Renouer avec soi-même n’est pas facile à mettre en place, il faut parvenir à trouver les bonnes solutions, on tâtonne avant d’y parvenir. Pourtant, je peux déjà dire que même cette première étape a eu une influence sur le collectif de mon côté car j’ai commencé à manger plus bio, plus local, et moins d’animaux (vous adhérez ou pas ces principes, je n’impose rien, j’ai seulement fait des choix qui me permettaient d’être plus en accord avec mes idéaux, vous n’avez peut-être pas les même, ni les même priorités, et c’est encore heureux puisque chaque individu est différent), je fais du tri dans mes placards et apporte ce dont je n’ai plus besoin à des associations (Emmaüs, Le secours populaire). Le fait est que ces choix ont déjà clairement un impact sur le collectif. A présent, je ressens le besoin de m’ouvrir au monde.
Alors oui, je crois que le bien individuel et le bien collectif ne sont pas antinomiques dès lors que l’on ne raisonne en termes financiers comme le bonheur dénoncé par le livre de Edgar Cabanas et Eva Illouz.
Les livres de développement personnel ne sont là que pour nous aider. Certains vous parleront plus que d’autres, c’est normal. Certains répondront à vos questionnements, d’autres pas, c’est normal aussi ! Mais se développer, s’épanouir, chercher le bonheur sont avant tout des démarches personnelles et bien heureusement, les livres sont des soutiens intéressants et peuvent être à la base d’une réflexion qui doit se développer, pas devenir une bible suivie à la lettre.
« Transformer notre conscience individuelle, c’est enclencher le processus de transformation de la conscience collective. »
Thich Nhat Hanh
Le respect de ceux qui refusent le bonheur
Pour autant, on peut voir cette « injonction » différemment, si vous sentez que l’on veut vous forcer à être heureux, je ne vous jetterai pas dans une fosse de crocodiles affamés de dépressifs. J’ai longtemps vécu avec cette sensation de tristesse, de dépression latente sans en être vraiment une. Et c’est, je pense, le propre aussi de l’être humain de ressentir ce genre de choses. Encore plus pour celleux qui sont un peu plus sensibles que les autres et qui ressentent l’absurdité du monde dans lequel on vit. Encore aujourd’hui, il m’est difficile de mettre cette pensée de côté. Et je dois fournir des efforts pour conserver un peu d’espoir dans l’avenir de notre monde lorsque je regarde les actualités chaque jours.
Au dernier festival Itinérances (mars 2017), j’ai pu voir un documentaire extrêmement intéressant sur la souffrance, la dépression et l’art, réalisé par Iggy Pop et Michel Houellebecq, Rester Vivant. Présenté comme un feel good movie sur la souffrance, je suis sortie de la séance particulièrement perturbée par le propos qui en ressortait : faut-il être en souffrance pour être un artiste ? Et comme j’avais abandonné depuis déjà quelques temps ma propre souffrance, pouvais-je continuer à écrire moi-même ? C’est un tout autre débat mais le fait est que Iggy Pop et les artistes interrogés ne semblaient pas vouloir de ce « bonheur ». Le chanteur expliquait qu’il se nourrissait de cette souffrance et qu’il en avait besoin.
Aussi, c’est une chose que je respecte tout à fait chez les autres à présent. C‘est un choix comme un autre. Et finalement, le collectif ferait sans doute mieux de respecter les choix de tout un chacun s’il veut obtenir son respect et surtout s’il ne veut pas se déliter. Parce qu’au fond, ce qui nuit le plus au collectif, ce n’est pas tant le développement individuel, mais bien les idées rétrogrades des individus qui n’ont aucune morale et profite de tout ce qui devient à la mode pour s’enrichir et contrôler les autres.
Conclusion
Une « Happycratie » existe-t-elle ? Sans aucun doute. Je m’en rends compte désormais et je ferai un peu plus attention au marketing, notamment, qui essaye de me vendre du bonheur en bouteille. Pour autant, ce n’est pas une raison pour renoncer à rechercher le bonheur (et à le trouver). La littérature de développement personnel peut apporter beaucoup à certains moments de notre réflexion, voire même être très utile lorsque nous sommes patraques. La littérature feel-good est faite pour ça et j’y joindrai également les romans de développement personnel comme ceux de Laurent Gounelle, et Raphaëlle Giordano pour les plus connus.
La recherche du bonheur est une réflexion individuelle avant toute chose, loin de rendre égoïste selon moi, bien au contraire.
Et vous, que pensez-vous de l’injonction au bonheur ? le bonheur mène-t-il à l’individualisme pour vous ? Pensez-vous qu’il est possible de vivre autrement notre société de consommation ? J’ai été un peu bavarde pour ce premier article de réflexion mais j’avais beaucoup de choses à dire là-dessus semble-t-il…
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