L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde – R.L. Stevenson : mirroir de la société victorienne

Je me demande encore pourquoi je n’ai pas lu ce livre bien avant aujourd’hui. Il correspond à tout ce que j’aime le plus dans la littérature : écrit au XIXe siècle, une ambiance énigmatique, le Royaume-Uni. Bon, tant pis, l’essentiel c’est que j’ai fini par le lire, n’est-ce pas ? En prévoyant la lecture d’une réécriture de l’histoire, je me suis dit qu’il fallait auparavant lire l’original en entier puisque je n’avais toujours lu que des extraits. Voilà donc chose faite, et je ne le regrette pas.

Résumé : Quand la nuit tombe, le terrifiant Mr Hyde se faufile dans les ruelles désertes et martyrise fillettes et vieillards avec un sang-froid démoniaque. Chacune de ses apparitions inspire le frisson. Pourquoi cet être abject est-il protégé par le respectable Dr Jekyll, gentleman et philanthrope reconnu à Londres ? Pour Mr Utterson, notaire de son état, il ne peut s’agir que de quelque manipulation diabolique. Chef-d’oeuvre du récit d’épouvante, inspiré d’un cauchemar de l’auteur, L’Etrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde fascine aussi par son réalisme psychologique.

La construction du récit

Tout comme les nouvelles d’Edgar Allan Poe, L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde est construit de manière singulière avec une tension dramatique qui s’accentue au fil des chapitres pour atteindre un dénouement spectaculaire. En effet, les premiers chapitres sont racontés du point de vue d’un ami du Dr Jekyll qui entend parler et croise Mr Hyde. On sent immédiatement que ces deux personnages que l’on ne croise jamais vraiment sont intrinsèquement liés.

La présence de Hyde se fait de plus en plus présente et surtout de plus en plus menaçante lorsque l’on apprend, d’un témoin, qu’il a commis un meurtre violent en pleine rue. Cette violence de Hyde monte en crescendo au fur et à mesure des pages, passant d’une simple bousculade au meurtre, sans compter les sous-entendus.

Les deux derniers chapitres sont le dénouement de l’histoire et la révélation de l’abject. Les deux sont des témoignages, le premier d’un ami au Dr Jekyll dont le cas reste encore énigmatique à la fin de la lecture. Et le deuxième, celui du Dr Jekyll lui-même qui raconte son histoire avec Hyde et toute l’horreur de la situation.

Je trouve cette façon d’écrire très efficace notamment sur des textes courts comme celui-ci. Le livre se lit en une journée et cela permet de monter en tension sans s’ennuyer pendant des pages et des pages. Si vous êtes adeptes des nouvelles d’horreur du type Poe et Lovecraft, ce récit de Stevenson est exactement ce qu’il vous faut si vous ne l’avez pas encore lu.

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L’être humain, une entité duale

Ce qui ressort de ce texte, bien évidemment, c’est la position selon laquelle tout individu a quelque chose de dual en lui. Je dois admettre que je partage cette pensée car combien de fois je me suis pris à apprécier tel livre ou film ne faisant pas partie de mes genres préférés, combien de fois je me suis fait la réflexion d’être un peu contradictoire. Mais il faut croire que je ne suis pas la seule et si j’avais horreur des tomates avant et que maintenant j’en mange tout l’été, ma dualité n’est pas au stade extrême de celui de Jekyll. Pour moi, c’est seulement qu’un individu a plusieurs facettes qu’il doit accepter car elles font partie de lui-même.

Jekyll n’accepte pas et c’est là où la situation s’envenime et devient dangereuse pour lui car il finit par s’auto-détruire en n’acceptant pas qui il est, en voulant séparer ces deux entités de lui. Malgré ça, est-ce que ce n’est pas le reflet d’une société qui ne permet pas d’être qui on est ? La société victorienne est bien connue pour ça, préférant taire « l’innommable », toujours paraître, suivre l’étiquette à la lettre. Pourtant cette société victorienne est elle même une société duale dans laquelle riches sont séparés des pauvres à tout points de vue. Il y a également ce paraître, et l’être, avec ces aristocrates côtoyant les bouges discrètement pour assouvir des facettes qu’ils répriment en société. C’est la double morale victorienne : « ce qu’on entend par là, c’est la séparation entre deux sphères : d’un côté celle de la famille et de la vertu, de l’autre celle du plaisir et de l’instinct. » (François Bédarida, La société anglaise)

Et il semblerait bien que Stevenson avait saisi ce problème majeur de la société victorienne car à la publication de son livre, les ventes ont été extrêmement conséquentes pour l’époque. Sans doute était-ce aussi un moyen pour ceux qui n’osaient pas encore franchir le pas de libérer les facettes non-assumées. Il faut également savoir que la criminal law amendment act en 1885 interdit l’homosexualité. Stevenson publie ce récit en 1886.

Lire ou ne pas lire : L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde de R.L. Stevenson ?

Ici, la question n’est pas vraiment de savoir si le récit est bon ou pas. Le livre fait moins d’une centaine de pages et je le pense extrêmement important pour comprendre la société anglaise du XIXe siècle. Il explique extrêmement bien ce principe de double morale et on retrouve l’ambiance d’horreur que l’on aime de cette époque. Impossible de ne pas penser à Jack L’éventreur lorsqu’on lit Jekyll et Hyde, difficile également de ne pas penser à Frankenstein de Mary Shelley. Tout est lié. Il fait partie d’un groupe d’ouvrages à lire absolument quand on aime le XIXe anglais.

Ma note : 20/20

26 réflexions sur “L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde – R.L. Stevenson : mirroir de la société victorienne

  1. Je suis entièrement d’accord avec ta critique et surtout ta note! J’ai lu ce roman, il y a quelques mois juste après le visionnage de Penny Dreadful et j’en étais sortie ravie! Je vais lire Hyde aussi dès qu’il sort en librairie, en octobre.

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  2. Je l’ai lu il y a quelques années et je m’étais faite la réflexion que ça me faisait penser à Jack l’eventreur et à toutes les théories qui courent autour de son identité. C’est amusant de constater que tu as eu la même réflexion ! C’est vrai que ce Londres victorien était particulièrement propice aux problèmes d’identité !

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    • Ahah en même temps il s’inscrit vraiment dans cette ambiance du Londres glauque du XIXe, pas étonnant du coup ce genre d’association d’idées !! Comme tu dis le Londres victorien a té très propices justement à cette ambiance noire, un peu surnaturelle avec la question de l’identité au milieu 🙂

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  3. L’étrange cas du dr Jekyll et de mr Hyde est tellement avant-gardiste et encore aujourd’hui encré dans la culture contemporaine qu’on en oublie de le remettre dans le contexte de sa sortie, alors merci à toi pour cet article passionnant. Ça me donne envie de le relire, encore… Parmi toutes les adaptations ciné, je te conseille Mary Reilly que j’ai vu récemment et qui traite l’histoire d’un point de vu novateur, avec Julia Roberts et John Malkovich!

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    • Merci de ce compliment ! ça me va droit au coeur ! Avec mes études d’histoire, j’ai tendance à tout replacer dans le contexte d’époque lol
      Je note pour le film ! En plus j’adore Malkovitch donc je vais essayer de trouver cette adaptation ! Merci de ton conseil 🙂

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  4. J’adore ton analyse et te rejoins totalement dessus. Le tension que crée Stevenson, bien qu’un peu datée, fait toujours aussi bien son effet à mon goût et la dualité qu’il présente dans son personnage, marquée par un équilibre nécessaire, est formidablement représentative de son propos^^

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